Les dictionnaires arabes, pourquoi?

Juin 9, 2022 | Études lexicographiques

A ce stade, il est intéressant de comprendre les finalités ainsi que les objectifs qui ont conduit les philologues arabes classiques à composer des dictionnaires et des lexiques. Ce questionnement porte sur les raisons profondes qui ont animé ces philologues. Dans ses nombreux travaux consacrés à la lexicologie arabe, Nejmeddine Khalfallah, résume parfaitement ces objectifs en les répartissant en deux grands types de justifications : linguistique et politique.

  1. Assoir la norme lexicale des « Bédouins » 

Les emplois effectués par les locuteurs originaux, les Bédouins, dit les « Arabes purs », ont été perçus comme une référence ou une norme absolue de correction. A l’aune de cette référence, on jaugeait la correction ou l’incorrection des usages ultérieurs. Si l’expression est conforme à ces usages, elle sera jugée correcte et pertinente, voire éloquente. Le cas inverse, elle sera considérée comme fautive.

  1. Etayer les interprétations du texte coranique 

Les exégètes musulmans ont hérité plusieurs lectures et interprétations léguées du Prophète, de ses Compagnons ou de leurs disciples. Les exégètes, eux-mêmes des philologues comme al-Farrāʾ (الْفَرّاء) (m. 822), se sont efforcés à étayer ces interprétations et à en démontrer la véracité par des vers-témoins de poésie, d’explications lexicales présentées comme normatives.

  1. Sauvegarder les variantes tribales 

Vivant dans la Péninsule arabe, chaque tribu, région ou groupe ethnique avait un dialecte spécifique. L’objet des philologues était non seulement de réunir ces variantes régionales/tribales, au niveau phonétique comme au niveau sémantique, mais de les protéger contre l’oubli et la perdition. Cette tendance à conserver les variantes a été renforcée par le fait que le texte coranique, et en dépit du fait qu’il soit révélé dans la Koinè Qurayšite(لِسانُ قُرَيْش), contenait des emplois rares et régionaux.

  1. Objectifs politiques 

Préserver l’identité de la Umma(الْأُمَّةُ)contre les invasions non-arabophones, à savoir celles des Perses, des Indiens et des Turcs qui furent tous accusés de nuire à la pureté de la langue arabe. Le danger qui présentaient ces nouveaux convertis non-arabophones était le laḥn(اللَّحْنُ), ou l’incorrection grammaticale, phonétique et sémantique. Plusieurs auteurs, comme al-Ğāḥiẓ (الْجاحِظ) (m. 867), ont raillé ce phénomène. D’autres se sont efforcés d’établir des mini-dictionnaires pour indiquer la faute et sa correction.

 

  1. Classer la matière lexicale

Il est une tendance humaine qui existe dans toutes les communautés linguistiques. Elle consiste à vouloir trouver la structure profonde de ces matériaux, hétérogènes et vastes, qui sont les entrées lexicales, ou les mots et les sens. Comme toute Nation, les Arabes se sont efforcés de classer les mots selon des principes raisonnés afin de faciliter la mémorisation, l’apprentissage et la connaissance des champs lexicaux dont ils se forment. Dans son Dalā’il (الدَّلائِلُ), al-Ğurgānī (الْجُرجانيّ) (m. 1078) affirme que les enfants avaient comme habitude d’apprendre par cœur le Livre al-ʾAlfāẓalèkitābiyya (الْأَلْفاظُ ﭐلْكِتابيَّةُ) de ʿAbd al-Raḥmān b. ʿIssā al-Hamađānī (الْهَمَذانيّ) (m. 939).

En effet, l’objectif premier que les philologues arabes ont fixé était de structurer l’immense quantité de mots et de significations. Cet effort consistait donc à trouver une logique qui facilite la consultation d’une compilation, d’un ensemble clos des sens pour le fixer.  Une des questions des plus épineuses était de fixer une grille de critères susceptibles de couvrir le nombre important des mots de la langue arabe. On l’estime à plus de 8 mille racines avec leurs dérivés, qui pourraient atteindre les 90 milles sens. Ainsi, les philologues ont fait appel à plusieurs critères avec parfois l’idée de les concilier pour avoir une liste exhaustive. En effet, l’idée de l’exhaustivité a profondément animé les philologues ; en ce sens qu’ils ne voulaient perdre aucun mot « que les Arabes avaient prononcés ».

  1. Trésors des poètes et prosateurs

Dans le but de faciliter l’activité poétique des poètes et des prosateurs d’art, les philologues ont classé leurs lexiques selon la fin des mots, (la troisième radicale). Ainsi, les poètes pourraient trouver plus facilement des mots- à rime unique et les intégrer dans leurs poèmes. Cette méthode était celle d’al-Halīl b. Aḥmad(الْخَليل بِن أَحْمَد) (m. 786)et d’Ibn Manẓūr (اِبْن مَنْظور) (m. 1311). Or, cette méthode étant plutôt compliquée, les lexicographes arabes modernes ont dû tout réorganiser pour faciliter, aux arabophones et aux arabisants modernes, la consultation de ces ouvrages. La plupart de ces anciens dictionnaires sont désormais reclassés selon la première la lettre et non la dernière.

  1. Glorifier la richesse de la langue arabe 

La richesse du vocabulaire arabe a été perçue comme une source de fierté et d’autoglorification. Les philologues voulaient montrer à travers ces compilations que la langue arabe est l’une des plus riches langues, ou simplement : la plus riche langue humaine. Evidemment, cette tendance visait à justifier le choix de la langue arabe par Dieu pour s’en exprimer son vouloir-dire.

Cette demande de travaux lexicographiques a été satisfaite par une grande variété de dictionnaires basés sur différents systèmes:

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