Le paysage lexicologique contemporain a connu une activité remarquable dans le développement de nouveaux dictionnaires, élaborés selon des méthodes modernes, tout en conservant l’essence du corpus lexical classique ou en s’autorisant, au contraire, certaines formes novatrices. Ces ouvrages sont généralement classés par ordre alphabétique. Certains ont été entrepris par des chercheurs isolés ; tandis que d’autres étaient le fruit de groupes de travail qui se sont développés sous la supervision d’organismes officiels tels que les Académies de langue arabe ou les Ministères de la culture et de l’éducation, entre autres. Cette entreprise offrira également la possibilité de recenser les ressources lexicales reliées aux divers dialectes régionaux[1].
Ces dictionnaires contemporains, dédiés à l’ASM., témoignaient de la riche activité néologique par laquelle les lexicologues se sont efforcés d’octroyer des noms précis aux nouvelles choses apparues dans le monde arabe, suite à la rencontre civilisationnelle qui a eu lieu avec l’Occident tout au long du XIXe siècle, quand le rythme des découvertes scientifiques et industrielles s’est accéléré. Ces mêmes lexicologues ont essayé de revoir l’ancien équilibre linguistique. Conscients de la nécessité de passer au crible le contenu des anciens dictionnaires, ils n’en ont gardé que les unités valables, évoquant les notions actuelles, et bannissant les mots désuets. Notons cependant que même jusqu’à nos jours, la rupture lexicale avec le monde passé, resté vivant dans les livres de jurisprudence, d’histoire, de politique légale, et autres, n’est pas pleinement consommée.
Répondant au désir des arabisants et orientalistes, comme R. Dozy, qui cherchaient alors des références fiables pour traduire les concepts français et en faciliter la transmission et la circulation dans la culture arabe, au sein de ce qu’on appelait alors « la mission civilisatrice ». L’idéologie se donnait pour tâche de civiliser les peuples colonisés à travers des termes désignant les éléments matériels (voiture, bateau à vapeur, outils industriels…) ainsi qu’en prônant les valeurs politiques républicaines. D’un autre côté, les mouvements d’évangélisation, les campagnes missionnaires et la traduction des Évangiles en ASM., ont également joué un rôle important dans la conception des dictionnaires modernes et la création des néologismes. Il a été en effet question de moderniser les administrations, l’économie et la justice dans ces pays, notamment avec les missions des « Pères Blancs », dans les villes du Maghreb et les Jésuites en Orient. Enfin, le but de ces dictionnaires était de moderniser la langue arabe elle-même, conformément aux efforts de Ğurğī ZaydĀn (1861-1914). Il était devenu clair que cette langue était incapable d’exprimer de nouveaux concepts et aspirations politiques, tandis que l’émergence de conflits nationaux et le désir d’indépendance face à l’Empire ottoman le requéraient. Le paradigme moderne a supplanté le paradigme traditionnel, répondant aux exigences du nouveau monde aux rythmes rapides, suite à l’effondrement de l’État ottoman et au déclenchement de la Première Guerre mondiale.
[1] Parmi les dictionnaires des dialectes, on citera Le Dictionnaire des parlers arabes de Syrie, Liban et Palestine (supplément au dictionnaire arabe-français d’A.BARTHELEMY, de Cl. DENIZEAU, (1960), Paris Maisonneuve, dans lequel elle a mis les traductions françaises nouvelles apparues dans la région, en citant ses sources. Ce travail a montré que les mots dits : dialectaux ont des origines en arabe classique.